Le Somaliland, nouvel atout géostratégique d'Israël ?
La reconnaissance par Israël du Somaliland a surpris mais s'inscrit dans la nouvelle stratégie d'Israël face à ses grands rivaux, Iran en tête, en offrant aux Israéliens la possibilité d'un accès inégalable sur la mer Rouge et le golfe d'Aden.
- Une décision mûrement réfléchie -
L'annonce israélienne, une première pour cette république autoproclamée qui a fait sécession de la Somalie en 1991, est intervenue après des discussions "impliquant le Mossad (services secrets extérieurs) dans un rôle de paradiplomatie", assure à l'AFP David Khalfa, chercheur de la fondation Jean-Jaurès, à Paris.
Aucune contrepartie n'a été révélée.
A terme, l'armée israélienne peut espérer se rapprocher des bases militaires des rebelles yéménites houthis, alliés de l'Iran, qui l'ont frappé à moult reprises depuis le début de la guerre à Gaza déclenchée par l'attaque du Hamas, le 7 octobre 2023.
En y installant avions de chasse et drones de surveillance, Israël pourrait "surveiller et frapper les Houthis", fait valoir l'analyste, également co-président du centre Atlantic Middle East Forum, soulignant combien la zone se trouve au coeur de "toutes les activités des proxies (intermédiaires) de Téhéran dans la région".
Des perspectives confirmées par Asher Lubotzky, de l'Institut des relations israélo-africaines d'Herzliya, près de Tel-Aviv. "Vu que les Etats du Golfe, les Etats-Unis et Israël ont tous combattu les Houthis ces dernières années sans résultat significatif, la possibilité d'opérer depuis le territoire du Somaliland pourrait changer la donne".
Au-delà, Israël témoigne, plus de deux ans après la déflagration du 7-octobre, de sa volonté de fonder des "contre-alliances" face à l'Iran, sur les côtes d'un Somaliland pro-occidental et politiquement stable, "un atout rare dans cette région du monde", ajoute David Khalfa.
- Une région hautement stratégique -
Le Somaliland intéresse les Occidentaux depuis longtemps: sous influence de l'Empire ottoman, il est devenu protectorat britannique en 1888. Et les Etats-Unis ont envisagé d'y installer une base militaire dans les années 1980.
"Sa situation à l'entrée du golfe d'Aden - en face du sud du Yémen - reliant la mer Rouge à l'océan Indien lui confère une importance géostratégique unique", souligne Asher Lubotzky.
Elle offre un accès direct au Golfe d'Aden et au détroit de Bab-el-Mandeb, sur l'une des routes commerciales les plus fréquentées du monde.
Pour l'experte en sécurité Samira Gaid, du centre de réflexion somalien Balqiis Insights, à Mogadiscio, "cette évolution renforce les inquiétudes selon lesquelles la mer Rouge et le Golfe d'Aden sont des espaces politiques militarisés plutôt que des corridors commerciaux neutres".
Elle accélère également "l'enchevêtrement, depuis une décennie, de la Corne de l'Afrique dans les rivalités moyen-orientales".
- Les puissances régionales à l'affût -
De fait, les Emirats arabes unis exploitent une base militaire sur le port de Berbera, en vertu d'un accord datant de 2017. Et certaines sources affirment qu'Abou Dhabi pourrait en faciliter l'accès à Israël.
Le Somaliland est par ailleurs convoité par l'Ethiopie pour obtenir l'accès à la mer qui lui manque.
Sa reconnaissance par Israël, allié de ces deux pays dans la zone, n'en est que plus logique, explique à l'AFP Colin Clarke, directeur scientifique du Soufan Center, à New York.
"Cela semble s'aligner sur les alliances d'Israël (...), qui considère probablement que ses avantages stratégiques potentiels l'emportent sur les inconvénients diplomatiques", relève-t-il.
"La Corne de l'Afrique, comme d'autres régions du continent, est devenue un champ de bataille entre puissances moyennes, dont Israël, la Turquie et les Etats du Golfe".
Les analystes soulignent combien ces développements mettent de l'huile sur le feu de la rivalité croissante entre Israël et Turquie. L'un est proche des Emirats et reconnaît le Somaliland, l'autre est allié du Qatar et pense la Somalie en quasi "pays satellite", selon les termes d'Asher Lubotzky.
Mardi, le président turc Recep Tayyip Erdogan a jugé la reconnaissance du Somaliland "illégitime et inacceptable", accusant le gouvernement de Benjamin Netanyahu de "déstabiliser la Corne de l'Afrique".
D.Gallaugher--NG