Les tensions Chine-Japon font tanguer la Bourse de Tokyo, l'impact économique inquiète
Compagnies aériennes, cosmétiques, grands magasins... les groupes liés au tourisme plongent lundi à la Bourse de Tokyo, après que la Chine a recommandé à ses ressortissants d'éviter de voyager au Japon en pleine passe d'armes au sujet de Taïwan -- au risque de miner un secteur-clé de l'économie nippone.
A l'origine du regain de tensions: la nouvelle Première ministre japonaise Sanae Takaichi a déclaré le 7 octobre que si "une situation d'urgence" à Taïwan impliquait "le déploiement de navires de guerre et le recours à la force, cela pourrait constituer une menace pour la survie du Japon".
Des propos largement interprétés comme l'indication qu'une attaque contre Taïwan -territoire dont Pékin revendique la souveraineté - pourrait justifier un soutien militaire de Tokyo à Taipei.
Alors que la crise n'a depuis cessé de s'envenimer entre Pékin et Tokyo, avec notamment la convocation de leurs ambassadeurs respectifs, la diplomatie chinoise a recommandé vendredi à ses ressortissants "d'éviter de se rendre au Japon dans un avenir proche", en raison de "risques importants" pour leur sécurité.
De quoi faire tanguer le secteur du tourisme au Japon: à l'heure où l'archipel enregistre des arrivées record de touristes, la Chine est sa première source de visiteurs étrangers, suivie par la Corée du Sud et Taïwan.
Sur les neuf premiers mois de 2025, l'archipel a accueilli 7,5 millions de visiteurs chinois, selon le Bureau national japonais du tourisme, soit une envolée de 42% sur un an... et presque un quart du total des touristes étrangers.
Attirés par un yen faible, ils ont dépensé 590 milliards de yens (3,28 milliards d'euros) au troisième trimestre, soit 28% des dépenses totales des touristes étrangers, selon le ministère des Transports.
A la Bourse de Tokyo lundi à la mi-séance, le fabricant de cosmétiques Shiseido dévissait de 9,30%, la compagnie aérienne ANA lâchait 3,46%, sa rivale JAL 4,45%, le géant de l'habillement Fast Retailing (Uniqlo) cédait 4,44%.
Du côté des opérateurs de grands magasins prisés des touristes, Takashimaya abandonnait 5,48% et J. Front Retailing (enseignes Daimaru et Matsuzakaya) 4,79%. Pan Pacific, qui exploite les magasins Don Quijote, a perdu jusqu'à 9,7%.
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Le Japon était l'an dernier la quatrième destination favorite des voyageurs de Chine continentale, après Hong Kong, Singapour et les Etats-Unis, selon des chiffres officiels chinois.
Et en 2024, plus de 100.000 étudiants chinois étaient inscrits dans des établissements d'enseignement au Japon, selon le gouvernement nippon.
A la suite de l'annonce de Pékin, les principales compagnies aériennes chinoises (Air China, China Southern et China Eastern) ont proposé samedi à leur clientèle le remboursement intégral de leurs vols pour le Japon.
Leurs actions tanguaient lundi à la Bourse de Hong Kong: Air China cédait 2,31% et China Southern abandonnait 0,75%. La plateforme chinoise de réservations touristiques Trip.com chutait de 4,77%.
"Cette dernière annonce semble compromettre les échanges entre nos deux peuples (...) Nous estimons qu'elle est incompatible avec l'orientation générale convenue par nos dirigeants sur la promotion d'une relation stratégique et mutuellement avantageuse", a réagi lundi le secrétaire général du gouvernement nippon Minoru Kihara.
Autre signe d'une intensification des tensions: selon M. Kihara, des navires des garde-côtes chinois ont passé dimanche plusieurs heures dans les eaux territoriales japonaises autour des îles Senkaku, archipel administré par Tokyo mais revendiqué par Pékin sous le nom d'îles Diaoyu.
Selon les médias nippons, le plus haut responsable du ministère japonais des Affaires étrangères chargé des affaires Asie-Pacifique, Masaaki Kanai, est parti lundi pour la Chine, où il doit s'entretenir avec son homologue chinois, Liu Jinsong.
M. Kanai devait selon la presse réaffirmer la position de Tokyo selon laquelle les propos de Mme Takaichi ne modifient en rien la position japonaise traditionnelle sur Taïwan.
Ces tensions avec Pékin interviennent sur fond de conjoncture économique fragile pour le Japon, qui a vu son PIB se contracter de 0,4% au troisième trimestre.
Pour Marcel Thieliant, analyste de Capital Economics, la crise risque de dégénérer en un conflit commercial de grande ampleur, comparable à celui qu'ont connu les deux pays au début des années 2010.
"Le principal risque réside dans des restrictions imposées par la Chine sur ses exportations de terres rares ou sur les exportations japonaises", a-t-il déclaré, jugeant par ailleurs "particulièrement vulnérables" les constructeurs automobiles nippons, pour qui le marché chinois reste crucial.
W.Murphy--NG