

Le lait de chamelle, potentiel "or blanc" d'une région aride et pauvre de Tunisie
Dans une station expérimentale du Sud tunisien, des chamelles avancent docilement vers les machines à traire. Connu pour ses bienfaits pour la santé, leur lait pourrait devenir une aubaine pour plusieurs régions désertiques et pauvres, grâce au projet d'une entrepreneuse et d'une chercheuse.
Il y a deux ans, Latifa Frifita, 32 ans, a lancé près de Médenine (sud-est) l'unique usine de pasteurisation de lait de chamelle du pays.
Elle s'est appuyée sur les travaux d'Amel Sboui, 45 ans, chercheuse de l'Institut des régions arides (IRA) - organisme public basé dans cette zone désavantagée - qui a breveté de nouvelles techniques de pasteurisation garantissant "le maintien des propriétés nutritives et thérapeutiques" de ce lait.
Cinq fois plus riche en fer que le lait de vache, il est réputé non allergène, pouvant stimuler le système immunitaire, avec aussi des propriétés antioxydantes, anti-bactériennes et anti-inflammatoires.
Mme Sboui, docteure en biochimie qui l'étudie depuis 20 ans, a aussi démontré avec son équipe de 10 personnes (dont 80% de chercheuses) son effet anti-diabétique qui permet une réduction - jusqu'à la moitié - des doses de médicaments.
Au début, l'entrepreneuse Latifa Frifita a eu "pas mal de difficultés" à convaincre les éleveurs, focalisés sur la viande de dromadaire, de lui vendre leur lait.
"Ils sont habitués à le consommer ou à le donner gratuitement" sans lui accorder d'importance, explique-t-elle à l'AFP, en testant un échantillon avant l'indispensable pasteurisation, qui permet de le conserver jusqu'à 15 jours à 4 degrés.
Maintenant qu'"un rapport de confiance" est instauré, Latifa Frifita compte signer des conventions avec des éleveurs.
Il a fallu sept ans de préparatifs à cette titulaire d'un mastère en techniques alimentaires pour lancer en 2023 sa start-up ChameLait, avec le soutien de l'IRA qui l'héberge dans sa pépinière d'entreprises, à quelques mètres du laboratoire de Mme Sboui.
Latifa est fière de "valoriser un produit du terroir qui définit le Sud tunisien" où les dromadaires font partie du paysage. Cette mère d'une fillette de deux ans a préféré "rester et investir dans sa région" plutôt que suivre son mari coach sportif au Moyen-Orient.
La Station expérimentale de traite de l'IRA à Chenchou, à 100 km au sud de Médenine, sert aussi de centre de formation pour montrer aux éleveurs de cette autre zone pauvre les avantages de la mécanisation: un simple pot-trayeur permet une production de 6 à 7 litres par jour par chamelle contre seulement 1 à 2 litres par traite manuelle. Même si les chamelles doivent être dressées au préalable.
- Demande grandissante -
Deux ans après ses premiers pas, Latifa Frifita produit "500 litres par semaine avec l'objectif d'arriver au double d'ici deux ans". ChameLait, qui a recruté deux autres femmes dont sa soeur aînée, vend le lait sur commande et dans 12 magasins à partir de 12 dinars (4 euros) le litre, deux fois le coût d'achat aux éleveurs.
Et la demande est grandissante.
Pour Amel Sboui, c'est l'effet du "bouche-à-oreille: les gens réalisent les bienfaits de ce lait pour la santé".
Outre ChameLait issue des travaux de son laboratoire, la chercheuse imagine d'autres valorisations de ce lait qui, après lyophilisation (autre brevet), pourrait "être vendu comme médicament, alicament ou complément alimentaire", moyennant plus de recherche.
Pour l'IRA, l'usine de Latifa est une concrétisation réussie de sa philosophie - élaborée sous le premier président tunisien Habib Bourguiba - d'un transfert de ses expérimentations vers les territoires arides déshérités.
La région de Médenine (525.000 habitants) est durement frappée par la pauvreté et le chômage (22% contre 15% au niveau national et 19% contre 16%, selon des chiffres officiels) qui poussent des milliers de jeunes à la quitter ou émigrer.
"Notre objectif principal, même comme centre de recherche, est de créer de la valeur ajoutée et des emplois", explique Moez Louhichi, responsable de la valorisation à l'IRA. En aidant "les porteurs de projets dont des jeunes diplômés à promouvoir les richesses de la région et à créer des opportunités pour rester en Tunisie".
Depuis 2010, l'Institut a fait éclore 80 entreprises, générant "de 600 à 1.000 emplois", selon M. Louhichi.
Pour la néo-filière "lait de chamelle", la création d'un premier centre de collecte de lait d'ici fin 2025 et la traite mécanisée dans plusieurs élevages devraient, selon lui, entraîner aussi des embauches. Transformant potentiellement ce produit délaissé en "or blanc" pour la région.
T.M.Kelly--NG